12. La Brooklynisation de nos slips


Porté par l’air enthousiasmant du printemps, le moment est venu de se libérer des tensions accumulées durant l’hiver. La rue bruisse d’une rumeur forestière et doucement la nature reprend ses droits. Se frayant un chemin sous l’écorce des arbres – et celle de nos jeans par la même occasion – la sève fait exploser les bourgeons. Un vent de jeunesse secoue la ville. Partout, les feux sont au vert.

Aux terrasses des cafés, les places sont prises d’assaut et le rosier pakistanais ne s’y est pas trompé. Il est là lui-aussi. Clients et marchands sont d’accord, la chasse à venir promet d’être heureuse. C’est en tout cas ainsi que je m’imaginais la saison lorsque tuant une seconde fois le maitre de Venise, un troubadour roumain s’attaque au concerto Allegro de Vivaldi. Les choses ne sont jamais aussi romantiques qu’on veut le croire…

Et si la période demeure synonyme de joutes survitaminées, les réseaux sociaux ont quand même changés la donne. Désormais, coup de cœur et coup d’un soir ont appris a s‘affranchir des respirations de la nature. La parade amoureuse est morte et avec elle la ramure belliqueuse qui encombrait nos fronts est tombée. Ego de vanité boisée qui, il y a peu, dardait nos bonjours et autorisait les plus forts à mélanger leurs gènes.

Les temps ont changés. Les clairières ombragées où s’opéraient les ronds de jambes n’ont plus lieu d’être. C’est sur la toile que désormais s’affirment le gros de nos amours. Une sérénade qui se joue sans bouger de chez soi. Il y aurait presque de quoi se réjouir puisque le faible et le laborieux ne sont plus en reste. Grâce à la technologie, pour eux aussi, la démocratie a atteint le cul.

Pieds nus et l’œil rivé à l’écran, défilent des pages où les gens sourient. Bout d’un monde peuplé de loups bien coiffés, qui s’ébattent en remuant la queue au milieu des bergères. Instants grisant auxquels j’ai encore envie de croire. Quand bien même il me faille graisser la patte d’un tiers pour en jouir.

Les mots – de la soupe pianotée à la hâte sur son clavier – servent quand même. Ils expliquent en trois clics ce vers quoi il faut tendre pour nous plaire. Et en réponse on boit le potage que nous sert l’objet de nos tourments. Une désespérée qui, comme nous, fait face à son Mac en convoitant, elle aussi, un rencard.

Fichés par profils prédéfinis les rencontres proposées ne doivent plus rien au hasard. L’accident heureux qui, avant les stats, aurait permis de rencontrer la perle que rien ne nous prédestinait à croiser un jour, a vécu. Avec ces méthodes de proxénètes, le statisticien a mis Cupidon au chomdu et la fée clochette, autre victime collatérale du système, est contrainte de tailler des pipes pour survivre. Dieu merci, ce ne sont pas les abris bus qui manquent sur la toile.

Meetic et consorts ont transformés nos passions en profils économiques et sociaux. Il a une dizaine d’années commençait la Brooklynisation de nos slips sans qu’aucun n’y trouve quoi que ce soit à redire. Une gentrification faite pourtant au profit exclusif d’une économie où la poésie n’a plus cours.

Pas facile dans ces conditions de combattre les préjugés. Avec des critères fondés sur l’origine ethnique, le sexe, la religion et le statut social pas étonnant que l’intolérance ait le vent en poupe. Je comprend que la mesure visant à cibler nos envies soit une tâche d’envergure. Et pour cause, il y a encore peu le job incombait à Dieu… enfin, à quelque invisible bienveillant.

Sans doute ne sera t-il pas superflu alors, de s’interroger sur la déviance de nos mœurs. Ce besoin que nous avons désormais encré en nous, de croire que l’on a besoin d’un guide pour se perdre. Où doit-on attendre, comme ce fut le cas pour les fastfoods vers lesquels nous ont conduit ces nouvelles croyances, que des problèmes plus graves se manifestent ?

 

–       Cœur et urgence font parfois bon ménage, tu sais.

–       A part un pontage j’vois pas trop comment mais on peut essayer d’y croire…

(2 commentaires)

  1. Réflexion à mon sens très juste sur un des effets collatéraux de ces parades en ligne, à savoir celui de catégoriser à outrance les individus et, par la même, de renforcer le processus du déterminisme social et de l’entre-soi… On « élit » celui ou celle qui entre dans nos cases prédéfinies avant même de se connecter (de façon consciente ou non d’ailleurs)! Et si dans la vie non virtuelle le « heureux hasard » nous conduit à être mis en présence de personnes qui, de prime abord, n’entrent pas dans la case des prétendants potentiels, la possibilité de dé-catégoriser et/ou de découvrir des aspects insoupçonnés chez l’autre, des affinités autres laisse ouverte la porte des possibles… D’autant plus que, au fond, même en étant persuadée que toute rencontre amoureuse s’explique en partie sociologiquement ou psychologiquement, quel bonheur de se fondre dans l’illusion du hasard ou de la destinée!

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