Barbouillées dans la marge d’un cahier, les pensées balbutiantes de l’écolier qu’un jour on a été, sont des témoignages douloureux pour l’adulte qui les retrouve. Et comme souvent, le hasard choisit seul le moment de cette convocation à distance. Nous revient alors ce gout d’amande propre à la colle Cléopâtre. Puis, c’est un Bic cristal qui cède sous nos dents.
Un parfum d’inachevé s’invite dans la ronde de nos souvenirs qui, d’un coup, remontent à la surface. Ils nous reviennent avec la sècheresse d’une punition en sursis…
Devenue sépia avec le temps, l’encre de nos pattes de mouche, se révèle dans une montagne de brume. Du doigt, on suit cette rivière où roulent des caractères chargés de pleins et de déliés. Une course qui en dit long quant à l’espoir qu’ils dessinent, une fois réunis en phrases. C’était avant que la morale ne se charge d’en endiguer le cours.
La lecture de ces audaces enfantines, n’a pas d’égale pour souligner le vide dans lequel nos certitudes de grand auront appris à se complaire.
Abandonné en pleine croissance, on a du mal à s’avouer que c’est à un moutard que l’on doit d’avoir osé y croire. Un gamin que l’on s’est empressé de faire taire, trop obsédé qu’on a pu l’être de se hisser au fait de notre insignifiance. Sans doute que l’ambition n’est-elle pas compatible avec les aspirations d’un poète en herbe.
La mue du Bernard l’Hermite se révèle être une opération délicate, dans le même esprit, la migration de l’enfance vers un statut plus sérieux, est aussi un voyage à haut risque.
Il m’arrive de repenser à cette place que j’occupais au fond de la classe. Celle près du radiateur et qui l’hiver m’autorisait des rêves torrides. De ces voyages lointains qui forment la jeunesse et la laisse dans la crainte qu’une sonnerie mal réglée ne la ramène trop vite sur terre.
Aujourd’hui, c’est dans une langue que je ne comprends plus que me parlent ces lignes. Le clavier sur lequel je pianote pour tenter d’en revivre l’insouciance, ne m’est d’aucun secours. Ce que je croise à l’écran, n’a plus rien à m’apprendre. Enfin rien d’où je ne sois déjà revenu. Toute trace mentale s’est consumée dans la léthargie des responsabilités que la vie m’aura imposée. Une existence où le temps n’est plus fait que de retard. Ces heures qui jadis s’égrenaient en douceur sur l’horloge, sont au nombre de mes ennemies. Même si c’est pour filer trop vite, qu’elles le sont désormais.
Les images et les mots qui les légendent se sont noyés au large de territoires engloutis. Seule une voix-off propose de me servir de guide. Un écho qui résonne dans un argot qui n’est même plus le mien.
Peu de choses adviennent selon nos prédictions. On ne comprend que très tard ce que l’enfant qu’on a été aurait eu de sensé à nous dire. On se résout alors à n’être qu’un nostalgique de plus dans une masse que l’émotion ne régit pas. On l’a comprit, on ne devient pas le héros de sa propre enfance.
La routine a fait ricocher notre ordinaire sur des promesses non tenues et de ces rêves grandioses qu’on redécouvre avec émotion, pas un n’a de place dans notre quotidien.
Pour être universelle l’angoisse que ces lectures me procurent, je la partage avec nombre de désabusés qui, comme moi, ont du mal à surmonter leurs névroses. On se dédouane comme on peut et on se construit un entre-lac d’excuses bidons histoire de justifier l’exile forcé de ce mignon qui ne demandait qu’à nous ouvrir la voie. Parvenu à un âge ou l’introspection existentielle est de mise, sans doute, était-ce une suite logique.
Mais à la vérité, on n’a pas grand-chose à se reprocher. Programmé autour de mots-clés configurables à loisirs, on a réagi comme on l’attendait de nous. Et on s’y est employé par aliénation, selon un algorithme bâti sur un ordre facile à comprendre car binaire : bien-mal, pour-contre, riche-pauvre, noir-blanc, Nord-Sud, gagnant-perdant…
On se surprend alors à penser, que c’est peut-être l’humanité toute entière qui reste à réinventer ? Et moi, en cette veille de l’Aïd*, j’ai le désir d’y croire.
- Ça vaut bien quelques sacrifices…
* Musulmans, Cathos, Juifs, athées, végétariens et autres camarades de classe avec ou sans étiquettes… Aïdkoum Moubarak !
Magnifique…envie de pleurer. T’as raison Moussa même avec des menottes les radiateurs du fond de la classe nous restent fidèles…
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😉 C’est vrai mon Juju, en vieillissant on s’attache à n’importe quoi dès lors que ça promet un peu de chaleur
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Très beau texte Moussa, tu n’as pas ton pareil pour décrire des sentiments que nous partageons pourtant tous, plus ou moins, souvent, rarement ou en permanence, un truc universel que chope les artistes. Bon je m’égare en bref ce texte est une tuerie pour parler vrai ! Big up ! On se capte un jour…Tchuss, Marco.
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