18. Z comme zoo


Toute ma vie j’ai aspiré à plus de délicatesse, de sobriété et de hauteur de vue en rançon de mes éclats de rires. Qu’ai-je reçu en retour ? L’affligeante médiocrité de quelques amuseurs qui me singent.

Quid de cet humour sans complaisance et engagé qui, il y a peu, faisait notre fierté. Désormais, il est de bon ton de tirer sur l’ambulance. Ce n’est plus sur l’élite et les cercles durs de ses courtisans que s’abat la férule de l’humoriste mais bien sur le dos de la foule. Petit pas grand-chose, que l’on tacle et que l’on accule.

A l’abri d’un rideau à glands, debout et en nage, il attend, prêt à s’envoler l’œil pesant vers ce public acquis à sa cause. Un collectif de gueux qui lui ressemble et que pourtant, il va mettre en pièces. Comme ça, juste parce que marrant. On a même vu de ces taquins se défouler sur des trisomiques et autres paraplégiques… Pas évident de rendre les coups pour ceux là.

Etre boute-en-train suppose de savoir taire ces certitudes selon lesquelles la partition qu’un one man show autorise est un concept égoïste. Le rôle de bouffon est un travail de trop haute facture pour se résumer à la gratuité d’un bon mot. Il ne peut se limiter à la défense de l’intérêt individuel, comme cela se voit chez le branleur. Bien sûr, il en existe quand même pour avoir le souci d’être au-dessus de la mêlée partisane. Des marrants motivés par des considérations autrement jacobines et qui vont soutenir la souveraineté populaire plutôt que celle du roi. Mais ils sont si rares… On pourrait les croire déjà morts.

Ethnologues sans vergogne, les princes du stand up ont fait le choix de s’immiscer à toutes les strates de notre quotidien. Un environnement qui leur est familier au point de le connaitre mieux que nous. Normal, puisqu’on est issu d’un même ventre. Ce qui les autorise à fouiller notre intimité de la cave au grenier. Ainsi, sous leur bouillon, rien de ce qui pourrait nous mettre mal à l’aise ne nous sera épargné. On déballe, on solde, on débarrasse et quand enfin le rideau tombe, on est à poils. Poilant non ?

Moins stéréotypé que Bozo le clown, l’humoriste new âge a l’air de ne pas y toucher. Venu dans le costard du pote inspiré, il a fait de son origine ethnique ou confessionnelle un fond de commerce. Ainsi, les communautés arabes, noires, juives et plus récemment asiatiques, ont toutes leurs lots d’histoires désopilantes. Des pantalonnades aux propos certes convenus et accommandants, mais auxquelles on ri. On s’y emploi fort et en choeur, histoire de justifier que l’union fait la farce.

Et si c’est nerveusement que l’on s’y emploie, c’est juste pour les savoir modelées sous la forme accusatrice. Une mise à l’index comme un touché dans le rectum des patients que nous sommes. Un examen proctologique auquel on répondra 33 parce qu’on nous aura demandé de le faire.

Est-ce à dire que désormais c’est selon un genre, une origine où une confession que l’on est autorisé à se lâcher ? Le communautarisme tant décrié ne serait-il acceptable qu’en montrant les dents, pour mordre et pour en rire ? L’humour est-il devenu à ce point sensible qu’il faille le cloisonné par catégories socio-culturelles pour le voir s’exprimer sans heurter le groupe dans son ensemble ?

Les mots s’enchaînent dans un tel ordre de bataille que toute polémique faite sur un sujet grave, fini par assimiler tout débat à une vaste blague. Une distanciation qui voit l’idéologie raciste dans le discours médiatique, reléguée à un spasme avec lequel on a appris à faire. Une réalité qui autorise encore à penser que, décidément, on peut tout se permettre dès lors qu’il est admis que c’est pour rire.

On renâcle, on s’indigne, on conjure, mais puisque c’est pour de la fausse, on laisse la place de l’action vacante. Plus question de se sentir coupable de ne rien faire. Le pouvoir sur scène est grisant. Cette ivresse ne se limite pas à la chose politique. On sait ça depuis que Bourdieu en un fait un livre. Et comme nous l’enseigne le cané, le panthéon du rire aussi à un coût. Sur les planches ou à la ville, comme on fait son lit, on se couche…

  • Trop d’la balle le spectacle !
  • Oui et si tu es sage, dimanche, on ira au zoo…

(3 commentaires)

  1. Toute ma gratitude : vous caractérisez le malaise diffus et flou que je ressens toujours devant les spectacles censés faire rire. J’avais choisi la fuite, évitant les chemins humorisants, disons, sans trop savoir pourquoi.
    Je marche alors dans les pas de Clémenceau (cité par Gotlib, reconnaissons-le) : « si l’humour est une chose trop grave pour être confiée aux humoristes », c’est donc qu’il est ailleurs, là où on trouve la vraie vie, peut-être…
    Et en ce cas, je serai très curieuse de votre réponse à la question : Qu’est-ce qui vous fait rire ?
    Du reste, à vous la poser, j’ai envie d’y répondre aussi.

    Et je vous souhaite une joyeuse semaine,
    CB.

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  2. Moi je ne citerai « QUE » Samuel Beckettt « imagine si un jour ceci cessait »….
    clap clap clap Moussa !

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