Bien sûr, comparé à des régimes tels qu’il en existe en Somalie et en Corée du Nord, notre sort reste enviable. Cependant on ne juge pas une démocratie à l’aulne des restrictions que l’on fait subir ailleurs. La liberté c’est un lait sur le feu. Elle a besoin d’une surveillance constante, même sous nos latitudes tempérées.
L’une des garanties que l’on a trouvé pour y veiller, c’est un paysage médiatique pléthorique. Une presse nombreuse, indépendante et non-assujettie au pouvoir. Positionné en première ligne, le taf de nos journalistes et intellectuels nous permet de suivre les événements quant ils se produisent. En général, le job est fait avec conviction, même si trop parfois…
Le rôle d’observateur implique de rester neutre. Celui de garde-fou d’avoir des couilles. Et certains sujets exigent d’avantage qu’une position à la marge. C’est le cas de ces lanceurs d’alertes, dont la situation est devenue si précaire, pour avoir le tord de nous tenir informés des turpitudes underground de nos démocraties. Chevaliers blancs qui se voient contraints à l’exil et simplement soutenus du bout des lèvres par des rédactions qui justifient cette attitude par la crainte d’avoir à renoncer à leur sacro-sainte neutralité en s’engageant plus avant dans ce combat de l’ombre.
J’aime me souvenir qu’en écrivant son J’accuse en une de l’Aurore, Zola ne s’était pas encombré d’un sens éthique si élevé. Et plus encore que, si le capitaine Dreyfus s’en est sorti les cuisses propres, c’est un peu grâce à cette entorse faite à la déontologie par l’Emile…
Cela, même si certains forts en gueule ont eu le courage de briser l’omerta de la corpo en dénonçant des travers qui, en plus de les menacer, nuisent aux citoyens que nous sommes. Ils sont trop peu nombreux à avoir su braver les directives éditoriales de ces médias qui les appointent.
A croire qu’en matière de liberté d’expression, prise de risque et conviction personnelle sont deux concepts si éloignés l’un de l’autre, qu’ils en sont devenus étanches.
Il faut dire que si les canaux d’informations sont comme on l’a vu, nombreux et variés (radios, télévisions, magazines spécialisés, journaux, Internet, etc.) derrière cette pluralité qui s’offre comme un gage fait à nos libertés, on ne trouve que très peu de propriétaires.
Peu nombreux mais qui ont tous en commun en plus de leur appétence pour un secteur notoirement déficitaire (la presse), un grand intérêt pour les marchés publics…
- Lagardère / Distribution Publishing Audiovisuel : Les éditions Fayard, Grasset, Hachette, Hatier, Marabout, Pluriel, Stock, Le livre de poche, Larousse, Dalloz, Dunod… Les magasins Relay, Virgin. Les titres Paris-Match, Elle, le JDD, La Provence, Nice-Matin. Les radios et télés Europe1, RFM, Canal Satellite, Gulli, Planète, etc.
- Bouygues / Bâtiment TP Télécom : TF1, LCI, Odyssée, Eurosport, Histoire, Ushuaia, Métro.
- Dassault / Aéronautique Armement : Le Figaro, L’Express, Valeurs Actuelles.
- Bolloré / Industrie Transport Logistique : Euro Média France, CSA, Direct8, Direct Matin, Direct Soir, Havas, etc.
- Free / Télécom : Groupe Le Monde, soit le quotidien, Le Monde diplomatique, Télérama, Talents, Le Huffington Post, Courrier-International, Le Post…
Face à une telle concentration de pouvoir, une promiscuité si évidente entre l’Etat et ses fournisseurs, à quoi tient l’éthique quand l’intérêt de se ménager est si intimement lié ? De là à imaginer que les réponses s’en trouvent orientées…
Nos huiles ont su circonscrire le risque de voir les médias publier des choses qui fâchent.
Restait à colmater les fuites inhérentes aux révélations venues de l’extérieures. Celles faites par des lanceurs d’alertes situés hors de nos frontières par exemple. Pour s’en prémunir, quoi de mieux qu’une bonne loi sur le renseignement ? Justement, une vient de voir le jour. Son texte autorise l’interception de tout échange passé hors du territoire ainsi que le stockage des données recueillies. On essaiera alors d’oublier que le principe d’Internet repose justement sur un modèle transfrontalier…
Un hommage posthume rendu à Charles Pasqua, dont le rêve de légaliser la surveillance de masse n’avait, pour le coup, rien de secret.
Sans doute en aura t-on eut marre en haut-lieu d’avoir à opposer des démentis aux scoops mis en ligne par les Edward Snowden, Mark Klein, Bradley Manning et autres Julian Assange quant aux turpitudes de nos barbouzes.
Une dichotomie dans l’information qui verra le pays des Droits de l’Homme refuser sa demande d’asile au fondateur de Wikileaks que des persécutions politiques contraigne à vivre reclus dans une ambassade depuis trois ans. Que ce refus intervienne une semaine après les révélations faites par son site quant à l’espionnage systématique de nos présidents par l’allié américain, n’a évidemment rien à voir.
Les attentats de janvier auront au moins permis de se mettre à jour sur le sujet. En présentant la loi comme une réponse faite à ces événements tragiques, nos élites ont eu beau jeu de légaliser en douceur des pratiques jusque-là maintenues en eaux profondes. Le tout, bien sûr, sans qu’il nous soit permis de contrôler les excès qu’ils en feront.
Même au motif de nous protéger, ces codes barres que l’on nous greffe ne justifie pas tout. On peut légitimement s’interroger sur la compatibilité de tels outils de « détection des comportements suspects » avec l’idée qu’en grands romantiques que sommes, on se fait toujours des notions de démocratie et de liberté de pensée.
Facebook et Google savent déjà pas mal de trucs sur nous. Pourquoi alors rechigner à se laisser scanner l’intimité par son propre gouvernement ?
- C’est vrai quoi, s’il a besoin d’approfondir sa relation avec moi, qu’il m’appelle. Après tout, il doit bien avoir mon numéro de téléphone et des préservatifs quelque part…