39. Un frêle équilibre


Faut croire que l’idée du gaz à tous les étages n’a pas eu que des effets positifs. On a tous, de mauvais coucheurs parmi nos voisins. Des pour trouver l’automne venteux, d’autres l’été saturé, le printemps humide ou l’hiver lugubre. De ces casse-couilles frileux en tout, qui s’acharnent à être surpris que l’année soit divisée en tranche.

Le cycle normal quoi. Une course d’étapes coincée entre la fin d’une boucle et le début d’autre chose.

Des saisons de Vivaldi, ma préférée c’est l’automne. D’abord parce que c’est la plus discrète et aussi parce qu’écoutée depuis ma fenêtre, elle tire sur des sons roux et fabuleux. Misent en musique, les fables m’inspirent. Je dois avouer que j’ai toujours eu un faible pour les rousses. Qu’il s’agisse de saison ou de femme.

Mais c’est loin de la ville, que cette période s’exprime le mieux. Quand à l’approche de l’hiver, elle devient ce piège romantique. Lorsque sous la futaie, sa magie opère en avançant vers des brouillards épais.

C’est un sanglot l’automne, un moment de spleen qui rend le vin tout juste tiré, encore plus misérable. Nul sentiment n’est plus évocateur de notre solitude d’habitants des grandes villes, que ce plaisir que l’on éprouve à être triste en ce moment précis.

Cependant, les feux de l’automne n’ont pas toujours été synonymes de nostalgie. Il fut un temps où à la fin des moissons étaient clouées des chouettes aux portes des granges. Un temps ou sur les places de grève se dressaient des bûchers. La crémation d’une rouquine était aussi un spectacle récurant. Prévenant la pression d’une mauvaise récolte histoire de conjurer le sort, la foule venait de loin pour l’entendre hurler.

Mylène Farmer aurait déjà fait carton plein au moyen-âge.

En matière de pureté, la croyance populaire accorde beaucoup de crédit aux flammes. Et comme souvent avec les esprits simples, ce qui n’est pas compris effraie, met en colère et exige donc réparation. L’occasion fortuite de solder ses dettes à bon compte. S’ouvraient alors au diable, des ardoises généreuses…

Le bon peuple ça se venge pour un rien. Dénoncer les injustices qui le frappent  comme celle d’être pauvre, est un exutoire nécessaire. Il faut admettre que c’est chiant la misère. Cette lâcheté qui fait accepter une vie de merde quand on se sait remuant par nature. Ça rend con la vengeance et ce n’est pas un fait nouveau.

On trouve toujours pire que ce qu’on nous fait, pour justifier les moins de notre existence.

Et si on est a cours, il reste les récriminations divines. Celles qui trahissent la peur que Dieu existe… Ou en tout cas que subsiste un doute sur le sujet. Là encore, le courage manque pour creuser la chose, alors on prend des raccourcis, on fait dans le bref, on purifie par les flammes.

L’abandon du latin a fait un bien fou à nos campagnes. Une réforme dominicale qui a eu du sens. Contribuer à rendre l’angoisse polyvalente ce n’est pas rien. Et si, la perception du mal où l’idée d’en atténuer les effets sont malgré tout restés vivaces, on ne brule plus les rousses.

On les moque toujours, mais peut-il en être autrement ? Elles demeurent si ensorcelantes.

C’est profond une rousse, indéfinissable, ça se démarque entre toutes. Quand en plus elle est belle, alors elle devient hors concours. On ne parle plus de femme pour le coup, on dira la créature tant elle éclabousse.

Ses yeux d’abord, ceux d’une sorcière bien sûr, les étincelles qui viennent mouchetées sa peau en témoignent. Tout en elle donne envie de se perdre. Forcément. Une perfection pareille, ça relève du paranormal. Un mystère à demeure.

Sauvage au point de se dire qu’en créant ces torchères, la nature a pêché d’orgueil. Que sous nos pieds, un frêle équilibre s’est rompu. De la plus légère à la plus flamboyante, elles sont l’effet et la cause de l’incendie de Rome.

Le constat ne date pas d’hier, cultivée en masse, la connerie, ça ne connait pas la crise.

Autant d’évidences qui me font dire que dans un monde sans rousses, je ne serai qu’un amant en sursis, un évadé ne sachant où aller, reclus dans ses désirs et les divagations que le manque inspire.

C’est un fait, le culte du désastre est récurrent chez les rousses tant l’insulte que leur perfection représente est grande.

Comprenez bien, cette chronique n’est pas un réquisitoire contre les brunes ou les blondes, pas plus qu’il ne s’agit d’une campagne en faveur d’une coloration proposée par l’Oréal et ses filiales. Ce n’est là, qu’une façon de rendre justice, à cette féerie alezane trop souvent décriée.

Et comme le rappelle Jacques Hygelin en sifflotant son Champagne

 « La nuit promet d’être belle
   Car voici qu’au fond du ciel 
   Apparaît la lune rousse… » 

 

 

 

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