47. Sorry about…


C’est le moment de l’année que je préfère, celui où tout peut chavirer. Le ciel devient un radeau à bord duquel les éléments se disputent une épreuve qui ne connaît pas de vainqueur.

Mai est tout sauf tiède. Dans l’air, le moindre frémissement agite nos sens et met nos nerfs à vif. La demi-mesure n’y joue aucun rôle. Tout peut arriver et souvent tout arrive, sans que la météo soit seule en cause.

Grandioses et enivrantes, les pensées qui nous traversent se voient frappées de sinistrose l’instant d’après. Des éclats dans nos yeux pareils aux éclairs qui habillent le ciel où chacun exprime son lot de croyances populaires et de promesses à tenir.

Les couleurs dont se parent les villes, elles d’habitude si grises, bouleversent le paysage au point d’en faire un jardin. Une closerie d’imprimés à fleurs que des hanches roulant sur les trottoirs viennent illuminer. Même la plus rugueuse des femmes devient lys pour qui sait regarder.

L’homme de goût appréciera, sans rien perdre d’un spectacle qui maltraite ses pupilles.

Devant ces gorges qu’on libère du joug de l’hiver, nombreux sont ceux à remercier la providence. Cependant, tous les loups de la fable n’ont pas l’hommage délicat. Les chiffres qui circulent quand au  « terrorisme biteux » sont formels, la bergère des villes a toujours du mouron à se faire quand viennent les beaux jours.

Combien font le choix, au passage d’une robe un rien courte, d’opérer une révérence la lèvre humide et le regard torve ? Sans doute trop. Ainsi offerte aux yeux empoissés de désir de ces escrocs du Parnasse, la muse a peu de chance d’en sortir immaculée. Normal vu que l’objectif à atteindre consiste à bouter le vers hors de leurs braguettes.

On se dit alors que l’élégance n’est qu’un réflexe tardif chez les poètes munis d’un Pass Navigo que nous sommes. Un résidu de fraicheur Proustienne qui, chez nous, ne tente même plus de survivre à la moiteur du métro.

A se dire que, là où le chaînon manque, le pire n’est qu’une question de chance…

A l’évidence, si la modernité de notre société conforte les apparences, ce piteux stratagème du fameux chic parisien ne résiste pas à la descente en sous-sol. Confrontées au mortier des heures de pointe, entre quolibets graveleux et mains au cul terreuses, rares sont les veinardes à ne pouvoir en fournir la preuve.

L’effort de sensibilisation entrepris par la Ratp autour du problème que cela représente demeure louable, mais ce n’est pas en multipliant les citations lyriques dans l’espace confiné de ses bétaillères, qu’elle ira donner le change aux manières butyreuses de la foule qu’elle promène dans un élan de mixité improbable.

Une clientèle qui pour sa partie mâle, semble n’avoir gardé de Proust que le marcel qui lui gonfle le bide puisque passé vingt et une heure, le métro et pis encore, le RER s’inscrivent comme un no woman’s land où l’élégance a déclaré forfait.

On ne compte plus les fois ou une amie revenant seule d’une soirée fut contrainte de prendre sur elle pour ignorer la boule d’angoisse qui croîssait dans son ventre.

Les régimes d’avant plage, l’horloge biologique dont le tic-tac tétanise à l’approche de la quarantaine, la pression sociale et celle qu’en réponse elle s’inflige pour s’en distraire, toutes ces croix si dures soient-elles à porter, ne sont rien comparées à la prédation dont une femme est l’objet au quotidien.

Longtemps, j’ai suivi le flot de la foule, immunisé contre les tourments qu’elle subit.

J’ai honte de le dire mais je ne voyais dans la lubricité de mes congénères, qu’un effet inhérent à notre statut dominant. Je suis allé de l’avant, bien décidé à n’intervenir… qu’une fois chez moi. Là, posté devant mon miroir, je me suis alors rappelé l’étendu de mon privilège, ce luxe masculin qui finalement incarne si bien la défaite de ma pensée.

Mesdames, faute de couilles à vous offrir, laissez-moi faire miens ces mots d’Alfred de Vigny :

  • Au lieu de dire bonjour à une femme qu’il croise, un homme devrait commencer par lui demander pardon… 

Alors pardon.

(2 commentaires)

  1. C’est rarement reconnu, rarement exprimé surtout par un homme, alors oui, chronique salutaire, merci.

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